Tous les articles par Galien Sarde

Bilan de l’open d’Australie

Une semaine après la fin de la première levée du Grand Chelem de l’année, à Melbourne, un bref bilan peut être fait.

Celui-ci ne peut que commencer par un fait qui tient de l’évidence : une fois plus, dans ce tournoi majeur, Novak Djokovic s’est montré le plus solide. Sa victoire est pleinement méritée. La façon dont il a déjoué la menace que faisait planer Milos Raonic en quart de finale a rappelé que le Serbe est le meilleur relanceur du monde, sans conteste. Et sa victoire finale, face à Dominic Thiem, en cinq sets, après avoir été mené deux sets à un, qu’il dispose d’un mental hors-norme, d’une soif de vaincre à toute épreuve. Car, la première manche mise à part, on ne peut pas dire que Novak a dicté le match, ni même qu’il l’a contrôlé – à tout le moins, pas totalement. S’il a su faire basculer en sa faveur quelques points clés, notamment sur des balles de break en sa défaveur en faisant service-volée, et s’il a su comme souvent faire parler dans la longueur sa volonté en titane, Dominic Thiem l’a inquiété, et n’eût-il pas montré des signes d’émoussement dans les deux dernières manches, peut-être aurait-il même pu dominer celui qui est redevenu premier mondial. En effet, condamné à attaquer dès que possible pour battre Djokovic, il l’est par là même également à être impeccable physiquement, sous peine de multiplier les fautes directes – ce qu’il a fait, justement, durant le dernier tiers de la rencontre. Au niveau auquel évoluent ces deux joueurs, la moindre baisse de tonus se traduit immédiatement par un placement moins rigoureux et des frappes moins compactes. Et c’est bien ce que l’on a vu à la fin du côté de Thiem, auquel beaucoup de balles échappèrent. De toute évidence, l’intensité et la durée de ses deux  matchs précédents ont pesé dans la balance. Quoi qu’il en soit, nous tenons là, dans ce très bon résultat de l’Autrichien, finaliste pour la première fois de sa carrière d’un Grand Chelem sur dur, le second fait marquant du dernier Open d’Australie.

Les suivants peuvent être notés plus vite et tiennent aux performances respectives de Roger Federer et de Rafael Nadal. Si tous deux ont effectué un tournoi correct, ils ont malgré tout révélé des limites. Celles de l’Helvète ont été clairement physiques (Roger s’est en effet blessé aux adducteurs) et celles du second essentiellement dues au fait que son jeu ne lui offre pas sur dur la même marge de manœuvre que sur ocre. Face à un Dominic Thiem des grands jours, l’Espagnol n’a pas pu prendre le dessus dans les tie-breaks qui ont départagé les deux joueurs, quand même il n’en fut pas loin. De la sorte, ainsi que Federer, Rafa se retrouve-t-il dans une dynamique compliquée au regard du duel à distance qu’il livre à Novak Djokovic. Pour être encore trois longueurs derrière le Suisse et deux derrière le Majorquin, le Serbe s’en rapproche comme jamais, mieux lancé qu’eux en ce début de saison.

Les derniers enseignements du Grand Chelem australien concernent les meilleurs joueurs de la Next Gen, qui globalement ont répondu présent. Si l’un d’eux a failli – Stefanos Tsitsipas, pour le nommer -, il est tombé contre Raonic, qui était en pleine possession de ses moyens à Melbourne. Et il y a fort à parier qu’il saura méditer son échec pour revenir encore plus fort. Quant aux autres, leur parcours dans le tournoi n’a rien de décevant : Alexander Zverev s’est hissé en demi-finale, où il n’a pas démérité ; Daniil Medvedev a rendu les armes en huitième de finale mais en cinq sets et surtout contre Stanislas Wawrinka ; enfin, Nick Kyrgios est sorti au même stade du tournoi en quatre manches serrées contre Rafael Nadal. Encore un peu justes à Melbourne, ceux qui devraient être les champions de demain pourraient bien ne plus l’être assez vite.

GS, le 9 / 2 / 2020

Qui va gagner l’Open d’Australie ?

A cinq jours seulement des premiers matchs du tableau final de l’Open d’Australie 2020, l’heure est venue de faire ses jeux. Une certitude : dans moins de trois semaines, la saison tennistique qui s’ouvre aura déjà pris forme, l’issue du premier Grand Chelem s’annonçant éclairante.

De façon très nette, un favori se détache : le numéro deux mondial, Novak Djokovic. Vainqueur, avec la Serbie, de la première édition de l’ATP Cup, il a gagné tous ses matchs, dominant notamment Daniil Medvedev en demi-finale (6 / 1, 5 / 7, 6 / 4) puis Rafael Nadal en finale (6 / 2, 7 / 6 (4)). Difficile de trouver meilleurs augures. Intense et concentré, Novak a montré son meilleure visage durant ce tournoi d’ouverture, dont il a pleinement profité. La façon dont il a dominé Rafa dans le premier set et celle dont il a su, bien qu’en difficulté, bouclé le tie-break du second, en disent long sur son niveau de jeu actuel et sur son acuité mentale.

Derrière Novak, cinq joueurs semblent à même de jouer les premiers rôles, si ce n’est de triompher : Rafael Nadal, Roger Federer, Daniil Medvedev, Dominic Thiem et Stefanos Tsitsipas. Bien qu’ayant subi deux défaites à l’ATP Cup, le premier, finaliste de l’Open d’Australie l’an passé et tenant du titre à Flushing Meadows, a montré à quel point il pouvait être performant sur dur, s’y montrât-il moins régulier que sur terre battue, où il dispose d’une marge nettement supérieure. Son second set contre Novak fut impressionnant et l’on sait quelle est sa force dans les matchs qui se jouent en trois sets gagnants, quand son physique ne le trahit pas. Roger Federer, lui, arrive sans référence mais totalement frais en Australie, ce qui lui sied généralement. Il a en outre, comme les deux joueurs qui le précédent au classement, une expérience exceptionnelle des rencontres qui se jouent au meilleur des cinq manches. Enfin, intrinsèquement, il reste l’un des tout meilleurs joueurs du circuit, sans contredit. Néanmoins, la constance en Grand Chelem de Roger a baissé depuis des années, qu’on l’impute à son physique ou à son mental, potentiellement émoussés. On ne peut, de ce fait, le placer exactement au même rang que Rafa. On le peut, en revanche, quant à Daniil Medvedev. Finaliste épique du dernier US Open et auteur avant d’un été américain fracassant, le jeune Russe a tout en main pour triompher à Melbourne. Il adore jouer sur dur, a déjà battu deux fois Djokovic et sait l’art de brouiller les cartes, de renverser le cours des matchs mal engagés. Son dernier match contre le Serbe l’a démontré une nouvelle fois, l’a-t-il perdu en fin de compte. Dominic Thiem, de son côté, se tient sur la même ligne que lui et Nadal, virtuellement. Ayant haussé son niveau de jeu sur dur, comme l’ont montré les derniers Masters, dont il a atteint la finale, son expérience en Grand Chelem est notable, étant donné qu’il a déjà atteint à  deux reprises la finale de Roland-Garros. Sa puissance en fond de court, associée à  sa rigueur, devrait faire de nouveaux ravages dès maintenant. Stefanos Tsitsipas, enfin, est lui aussi sur la ligne théorique qu’on vient de définir. Athlétique, très complet, doté d’un mental de champion – il a d’ores et déjà vaincu les meilleurs joueurs du monde -, il est évident qu’il faudra compter avec lui. Sa haine de la défaite est totale – son dernier match en date, contre Nick Kyrgios, en témoigne – et son ambition tout autant, qu’il a clairement affichée. Il pourrait bien, dès cette année, tout comme Daniil Medvedev, remporter son premier Grand Chelem.

Pour finir, parmi les outsiders de choix, trois noms se dégagent selon nous, auxquels on pourrait sans doute en ajouter d’autres : ceux d’Alexander Zverev, de Roberto Bautista-Agut et de Nick Kyrgios, pour des raisons différentes. Plaident en la faveur du premier sa puissance et ses victoires marquantes, dont celle aux Masters en 2019. En la faveur du second, sa constance et sa résilience, aptes à gêner tous les joueurs. Plaident enfin en la faveur du troisième son service et son aptitude à serrer le jeu quand il affronte les meilleurs.

GS, le 14 / 1 / 2020

Un millésime de luxe ?

Un nouvelle année tennistique s’ouvre et, comme les dernières en date, elle promet d’être riche. Potentiellement, 2020 pourrait même être un millésime de luxe, étant donné la grandeur et la variété des enjeux qui s’y pressent.

Tout d’abord, la rivalité historique qui oppose  Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic va se poursuivre. Il y va au fond, rappelons-le, de savoir qui sera, lorsqu’ils prendront leur retraite, le « GOAT » : le plus grand joueur de tous les temps. Dans cette perspective, tout au long de l’année, les chiffres et les statistiques devraient continuer de crépiter de façon vertigineuse. Ensuite, sur un plan moindre mais qui n’en regarde pas moins des champions et qui, n’était le trio hors-normes que forment les trois premiers mondiaux, serait bien plus marquant, Andy Murray, Stanislas Wawrinka et, si son genoux guérit vraiment, Juan Martin del Potro vont tenter d’atteindre de nouveau des sommets, ce qui pourrait être fabuleux compte tenu de l’intensité des matchs qu’ils peuvent générer. Il est du reste à noter que, comme Roger, Rafa et Novak, ces trois joueurs sont trentenaires, et de ce fait vers la fin de leur carrière. Enfin, et c’est nouveau, c’est la saison passée qui en a décidé, des joueurs de la Next Gen pourraient jouer les premiers rôles, ravir un Grand Chelem. Le cas échéant, c’est au sacre de Dominic Thiem, Daniil Medvedev, Stefanos Tsitsipas ou d’Alexander Zverev qu’on devrait assister, puisqu’ils sont, d’une part, les joueurs les mieux classés de cette génération et puisqu’ils disposent, d’autre part, des faits d’armes les plus glorieux, des titres les plus prestigieux.

En fin de compte, les débats se joueront donc essentiellement sur deux niveaux : intra et intergénérationnels. Et la question qui se pose de ce point de vue est celle-ci : va-t-on voir les légendes repousser encore leurs limites – et par la même occasion les limites du tennis – ou bien un nouvel héros éclore, imposer son destin ? Impossible à dire. Une certitude : jamais, depuis longtemps, une année de l’ATP n’a été aussi ouverte, aussi riche en possibles tennistiques.

GS, le 7 / 1 / 2020

La Next Gen prend date

Quelque chose s’est passé hier au Masters 1000 de Shanghai, sur la côte est de la Chine. Quelque chose d’historique. Pour la première fois de l’histoire récente du tennis, aucun champion de la génération du Big Four n’était présent en demi-finale du tournoi, dont les quatre places ont été prises par des joueurs de la Next Gen, Tsitsipas, Medvedev, Berrettini et Zverev, dans l’ordre du tableau. Or l’énergie dégagée par ces derniers suite à leur balle de match respective, pleine d’envie, le niveau de jeu qu’ils ont produit pour en arriver là sont des indices que la passation de pouvoir souvent citée mais toujours différée par les rois en place depuis des lustres pourrait s’effectuer prochainement.

Certes, Rafael Nadal était blessé. Certes, moindrement, Juan Martin del Potro et Stanislas Wawrinka l’étaient aussi et Andy Murray n’a pas encore recouvré l’intégralité de ses moyens tennistiques. Il n’empêche. La façon dont Stefanos Tsitsipas disposa de Novak Djokovic fut impressionnante – qui rappela vaguement l’ascendant que peut prendre Wawrinka dans l’échange contre le Serbe lorsqu’il est réglé -, ainsi que celle dont Alexander Zverev eut raison de Roger Federer, toute en puissance contrôlée. A travers des schémas tactiques différents, c’est du reste cette même qualité qui offrit à Matteo Berrettini d’écarter Dominic Thiem, pourtant en forme, en faisant preuve de beaucoup de pragmatisme. Quant à Daniil Medvedev, l’actuel quatrième mondial qui pourrait bien monter encore, c’est sans difficulté qu’il franchit l’obstacle Fabio Fognini, inférieur à lui au service comme en envergure de jeu. En un mot, les moins de vingt-quatre ans ont montré leur force, marqué leur territoire comme jamais.

Naturellement, il ne faut pas en déduire qu’ils vont mettre la main sur le tennis mondial dès maintenant, sans retour. Que le tournant tant annoncé, tant différé, a été pris, le point de bascule final activé pour toujours. Djokovic, Nadal et moindrement Federer devraient continuer à gagner des grands titres pendant encore quelques mois, sinon quelques années – c’est à voir. Mais de toute évidence, ils ne le feront plus exclusivement, leurs noms ne seront plus les seuls à figurer en lettres d’or dans la bible des tournois majeurs. Cela parce que, minusculement, ils ont perdu de leur superbe. Cela parce que, majusculement, les joueurs de la Next Gen ont faim et que certains d’entre eux ont désormais trouvé les voies de la victoire au plus haut.

GS, le 12 / 10 / 2019

Nadal au dix-neuvième ciel

Je n’ai pas pu voir en direct le match exceptionnel que se sont livrés hier soir Rafael Nadal et Daniel Medvedev à l’US Open. Je n’ai donc pas pu voir le chemin parcouru par le premier pour l’emporter finalement en cinq sets (7 / 5, 6 / 3, 5 / 7, 4 / 6, 6 / 4) et presque cinq heures de jeu, et j’en suis déçu. Mais j’ai vu en revanche, dès ce matin, un résumé de cette rencontre fait de points somptueux qui m’a permis de me faire une idée du niveau atteint lors de cette finale anthologique. Et surtout j’ai vu Nadal littéralement fauché par l’émotion à la suite de sa balle de match rester cloué au sol synthétique bleu du court Arthur-Ashe de si longues secondes avant de pouvoir se relever, saluer son adversaire du jour et verser ensuite quelques larmes comme à l’issue d’un accouchement douloureux (celui de son dix-neuvième titre du Grand Chelem, rien de moins), secoué par tout ce qu’il a dû traverser cette année pour revenir de sa blessure au genoux droit et par les restes de la pression impensable qu’il a dû porter tout le match, ballotté entre ces derniers et l’apesanteur d’une victoire sublime si ce n’est idéale.

Et maintenant ? Quoi après cette apothéose rappelant celle de Wimbledon ? Quels sommets nous attendent pour la fin de l’année tennistique en Asie, en Europe, où se joueront les Masters ? Impossible à dire. Si Djokovic finit toujours très fort en automne, Nadal, s’il ne se blesse pas, joue certainement le tennis de sa vie sur dur cette saison et Federer a une revanche à prendre sur son destin, qui cependant n’aura rien d’évident compte tenu de la force de la désillusion qu’il a connue à Londres début juillet face à celui qui reste pour l’heure numéro un mondial. De deux choses l’une : ou bien, piqué au vif, en champion, il rebondira une fois de plus (peut-être la dernière ?) de façon incroyable, ou bien, coulé en profondeur, il ne parviendra plus à trouver la flamme, à surpasser ses rivaux directs (j’ai nommé Rafa et Novak) le temps d’un match clé pour sceller l’histoire du tennis en sa faveur, pour s’assurer de demeurer pour l’éternité le plus grand joueur de tous les temps. Sans oublier, bien sûr, Daniil Medvedev, très impressionnant depuis un mois, et l’ensemble de tous ceux, jeunes et moins jeunes, capables de jouer les premiers rôles le temps d’une semaine, par exemple pour gagner leur place à l’O2 arena.

GS, le 9 / 9 / 2019

 

D’un cheveu d’ange

Le feu d’artifice qui s’annonçait à l’issue de la première semaine de Wimbledon a bien eu lieu, et son bouquet final fut tiré aujourd’hui même par Novak Djokovic et Roger Federer, auteurs d’un match qui nous a emmenés très loin, du côté de cet au-delà tennistique où tout ravit et où rien n’est plus prévisible. Précisément, le Serbe est venu à bout de l’Helvète en cinq manches et presque cinq heures de jeu, 7 / 6 [5], 1 / 6, 7 / 6 [4], 4 / 6, 13 / 12 [3], pour remporter son cinquième Wimbledon et son seizième tournoi du Grand Chelem, ce qui le place à deux longueurs désormais de Rafael Nadal et à quatre seulement de Roger Federer quant au nombre de tournois majeurs gagnés par un seul et même joueur. De ce point de vue, et de celui de la qualité du jeu proposée pendant cette finale, Novak a conquis une victoire historique, si ce n’est légendaire, d’autant plus retentissante qu’il a dû sauver deux balles de match à 8 / 7 pour Roger dans l’ultime set, quand ce dernier menait 40 / 15 sur son service avant de le perdre à cause de quelques fautes vaguement provoquées. Ainsi, de façon cruelle, le rêve qu’a touché Federer – celui de devenir le plus vieux joueur de tous les temps à gagner un Grand Chelem, qui plus est en vainquant l’un de ses deux rivaux directs au regard de l’histoire du tennis -, la performance ultime qu’il a failli réaliser se sont en fin de compte volatilisés, laissant la place à un nouveau triomphe du Serbe, décidément miraculeux, miraculé.

Où s’est jouée cette rencontre homérique ? Comment Roger a-t-il pu perdre finalement après être passé si près du but ? Qu’eût-il pu faire qu’il n’a pas fait ou qu’eût-il pu mieux réaliser dans ce qu’il a tenté ? La réponse est simple : rien. Ou plutôt presque rien. Or c’est justement ce rien qui a fait toute la différence de façon tout ensemble subreptice et criante, infime et géante, et pour tout dire récurrente au cours du match.

Physiquement, contre toute attente, Roger a tenu jusqu’au bout de la rencontre, ne traversant guère plus de phases de manque d’énergie que Novak, essentiellement dans le cinquième set. Ainsi, à la différence d’autres matchs qui les ont opposés par le passé – je pense entre autres à la finale disputée ici-même en 2014, en cinq sets également -, ce n’est pas sur ce plan que l’issue s’est jouée. Techniquement, tactiquement, en un mot, tennistiquement, Roger a été immense, à la fois juste et percutant, ce dont le ratio entre ses fautes directes (62) et ses points gagnants (94) rend compte nettement, de même que le fait qu’il n’a pas été breaké durant le match avant la fin de la quatrième manche, avant presque trois heures de jeu. Excellent au service, très solide en revers, impérial en coup droit comme souvent et très propre au filet, le Suisse a livré en tous points une performance magistrale et variée où il est impossible de voir de réelles anicroches au niveau du jeu. Ce n’est donc pas sur ce plan non plus que l’écart final s’est fait, puisqu’il en faut un, non c’est à l’évidence ailleurs qu’il convient d’en trouver la cause. Et comme arrivé là il n’en reste qu’un, il n’est plus difficile d’identifier le plan où tout s’est joué, en l’occurrence à l’intérieur. Moralement, s’il a été grand, capable notamment de maintenir sa concentration tout au long de la rencontre, d’y revenir une fois, à 2 / 4 contre lui dans le dernier set, et de ne pas sombrer après avoir raté le coche des deux balles de match, Federer n’a pas été assez constant dans les tie-breaks ni par ailleurs assez saignant sur quelques points qui valaient tout et où il n’a pas réussi à prendre pour de bon son destin en main, quand en face de lui Djokovic ne lâchait rien, ne commettait aucune faute directe et l’acculait par là même à sortir des coups surhumains mentalement.

C’est ainsi qu’en définitive Roger a perdu, que Novak Djokovic l’a vaincu, une nouvelle fois plus dur au mal que lui mais de rien, d’un brin d’herbe, d’un cheveu, d’une sublime particule élémentaire qui a fait basculer l’Olympe du tennis, à tout le moins temporairement. Le Serbe put ainsi savourer le gazon du central juste après sa victoire en remerciant le ciel d’un geste assorti d’un regard : son ange venait de passer par là.

GS, le 14 / 7 / 2019

Le feu couve à Wimbledon

De façon traditionnelle, aucun match n’a été disputé aujourd’hui à Wimbledon, afin d’offrir une journée de calme aux riverains. De ce fait tous les huitièmes de finale se dérouleront demain, nettement détachés des tours précédents. Façon de dire que la seconde semaine arrive, avec son lot de promesses et bien entendu de pression pour les joueurs.

Si l’on fait le point sur ce qui a eu lieu pendant la première semaine, le constat est simple : la « Next Generation » a sombré (défaites précoces de Dominic Thiem, d’Alexandre Zverev et de Stefanos Tsitsipas), quand les trois meilleurs joueurs du monde depuis dix ans se sont montrés impressionnants, ne cédant qu’un set au passage. Des trois fiascos susnommés, le moins flagrant est celui de Thiem, puisqu’il est tombé en quatre sets face à Sam Querray, joueur de deux mètres ou presque toujours en course et doté d’un tennis « brutal » – je cite Novak Djokovic qui avait perdu contre lui ici même en 2016, sonné par ses frappes -, qui peut faire merveille à Wimbledon. Et des trois routes tracées brillamment par Federer, Nadal et Djokovic, la plus marquante est celle du Majorquin, auteur de deux prestations de haut vol pour se défaire d’abord de Nick Kyrgios lors d’un match à couteau tiré (6 / 3, 3 / 6, 7 / 6 [5], 7 / 6 [3]), puis de Jo-Wilfried Tsonga en frôlant la perfection (6 / 2, 6 / 3, 6 / 2), réalisant pas moins de trente-cinq coups gagnants contre seulement douze fautes directes au total.

S’il vient à bout de Sam Querray, il ne fait ainsi aucun doute que Rafa constituera une menace de poids pour Federer, tranquille jusque-là. La demi-finale qui les verrait se jouer dans cinq jours serait l’écho idéal de celle qui les vit s’affronter il y a peu à Roland-Garros, avec clairement davantage de chance de l’emporter du côté du Suisse. On peut attendre des étincelles. D’autres, du reste, pourraient venir ensuite, en finale, car Djokovic devrait y être. Les chances de le battre de David Goffin, de Milos Raonic ou de Roberto Bautista-Agut, les trois joueurs les plus dangereux de sa moitié de tableau, semblent réduites, mais elles existent néanmoins. Bref, le final de ce Wimbledon a toutes les chances de prendre la forme d’un feu d’artifice, dont on a hâte, car généralement les trois plus grands joueurs de l’histoire ont l’habitude de finir fort, toujours plus fort, ce en repoussant leurs limites.

GS, le 7 / 7 / 2019

Le jardin d’Eden

En un sens, pour les joueurs de l’ATP tour et les amateurs qui les suivent, le tournoi de Wimbledon figure un jardin d’Eden. Son court central est en effet tenu par certains pour le temple du tennis, ce que le décorum ambiant (reine en tribune, tenues blanches immaculées) n’infirme en rien, non plus que quelques matchs légendaires qui s’y sont déroulés, dont ceux des finales de 1990 et de 2008, par exemple, qui virent respectivement Stefan Edberg et Rafael Nadal vaincre Boris Becker et Roger Federer en cinq sets, dans des ambiances franchement olympiennes.

Quelle sera la finale cette année ? Quelle affiche nous sera proposée dans deux semaines avant de se diriger vers l’été americain ? Difficile à dire. L’herbe, plus que toute autre, est une surface imprévisible, au point que n’importe qui peut disparaître face à un joueur bouillant au service et qui joue son va-tout sur chaque point. Néanmoins, il est facile d’avancer deux noms qui semblent au-dessus de la mêlée : ceux de Novak Djokovic et de Roger Federer, recordman absolu du nombre de titres ravis à Wimbledon (huit au total). Le joueur serbe, n’était sa défaite en demi-finale à Roland-Garros, contre Thiem, s’est montré irrésistible en Grand Chelem depuis un an, quand l’Helvète vient de remporter un dixième trophée à Halle, sur gazon, à l’issue d’une belle finale. Or, comme les deux hommes se trouvent à l’opposé dans le tableau, et compte tenu de la facilité apparente des premiers tours que celui-ci leur promet, il est assez tentant de les imaginer s’affronter une fois de plus en finale, tant qu’à faire de façon disputée, brillamment haletante.

Sauf que rien n’est fait, d’évidence, certains joueurs étant capables de faire pièce à cette finale, en tête desquels Dominic Thiem, Stefanos Tsitsipas, Alexander Zverev, Marin Cilic ou encore Milos Raonic, à peu près à parts égales. Et bien sûr Rafael Nadal, si son corps le laisse tranquille et s’il parvient à se défaire de Nick Kyrgios au second tour, parfaitement redoutable sur herbe. Au surplus, quand bien même Roger et Novak parviendraient à s’extraire des pièges que pourrait leur tendre le tournoi, rien n’assure que leur duel comblera nos attentes si l’on se fie à la domination que le second a assise au fil du temps dans leurs face-à-face récurrents, le plus souvent électriques. Factuellement, en ne prenant en compte que Wimbledon, le « Joker » a de fait eu raison de son prestigieux aîné les deux fois où ils se sont joués en finale, en 2014 et en 2015, certes au terme de rencontres accrochées, lors desquelles la fraîcheur, pour finir, fut toujours du côté du Serbe. Cependant la forme actuelle du « Maestro », le match qu’il a livré contre Novak à Bercy en fin d’année dernière, perdu d’un cheveu, au tie-break du troisième set (7 / 6 (6), 5 / 7  7 / 6 (3)), autorise l’espoir d’une énième rencontre d’anthologie entre ces deux champions aux tennis si spectaculaires.

GS, le 30 / 6 / 2019

Tous au vert !

A l’issue d’un Roland-Garros d’exception, la planète tennis va se mettre au vert. Mais le moins qu’on puisse dire, c’est que cela ne signifie aucunement que les joueurs de l’ATP tour entament une période reposante, loin de là.

Pour commencer, la chasse à la première place mondiale est lancée, à présent que Rafael Nadal est passé devant Novak Djokovic à la Race, c’est-à-dire  au classement mondial de l’année en cours. Cependant, les chances de l’Espagnol semblent réduites de redevenir numéro un mondial d’ici le mois de novembre, étant donné que son avance sur le Serbe est congrue et que ce dernier est a priori plus fort que lui dans les tournois qui viennent, à l’exception de ceux de la saison américaine. A court terme, il faudra ainsi à Nadal réussir un très bon Wimbledon pour ne pas se faire distancer par son plus grand rival, puis,  à moyen terme, exceller à l’US Open avant que ne se profilent la tournée asiatique et les tournois indoor, dont raffole Djokovic. Pour ce qui concerne le Serbe, il conviendra bien sûr de remporter au plus vite un nouveau titre marquant, tant qu’à faire le Grand Chelem de Londres, pour rappeler sa préséance. S’il y parvient, il sera sans doute difficile de le rattraper ensuite, lui et sa confiance. Novak aime en effet ce qu’on appelle le « dur », soit les surfaces synthétiques sur lesquelles se joueront pour ainsi dire tous les tournois après Wimbledon.

Aussi bien, seuls deux autres noms paraissent pouvoir éventuellement disputer la première place du classement final au Serbe et au Majorquin, et ce sont bien entendu ceux de Federer et de Thiem. Sauf qu’il faudra au premier impérativement gagner à Londres, et au second à tout le moins y aller loin avant de lancer une tournée américaine comme il n’en a pour lors jamais fait. Pour être clair, sauf concours de circonstances optimal, il leur sera difficile, pour ne pas dire impossible, de damer le pion à Novak ou Rafa. Les années pèsent malgré tout sur l’Helvète et l’Autrichien ne semble pas encore en mesure de jouer son meilleur tennis plusieurs mois d’affilée.

Pour continuer, derrière ce quatuor de cadors qui jouent gros, même très gros, d’autres joueurs sont en embuscade, dont l’année repose avant tout sur l’herbe, et spécialement sur Wimbledon. Parmi eux, on trouve Milos Raonic, qui s’est économisé en vue du gazon et qui est souvent redoutable sur courts rapides. On trouve encore Nick Kyrgios, doté comme lui d’un service terrible, et qui a fait connaître par un tweet des plus complaisants ses préférences en matière de Grand Chelem juste avant Roland-Garros, qu’il n’a pas joué du reste. Tsitsipas ou Zverev ne misent pas tout, tant s’en faut, sur la saison sur herbe, néanmoins il ne fait aucun doute qu’ils souhaiteront y briller, en vue de confirmer la place qu’ils occupent désormais parmi les meilleurs joueurs du monde. Derrière eux, pour cette même raison, nul doute que d’autres futures gloires du tennis voudront faire de même, en tête desquelles se trouvent Coric et les Canadiens Shapovalov et Auger-Aliassime.

Un mot pour finir sur un joueur à part, comme souvent dernièrement : j’ai nommé Juan Martin del Potro. On ne peut en effet qu’y revenir, étant donné que s’il ne s’était pas blessé à répétition depuis des années, il aurait été amené régulièrement à disputer les phases finales des tournois majeurs, et sûrement à en remporter quelques-uns. Compte tenu de ses prestations à Wimbledon l’an passé – défaite en cinq sets très serrés contre Nadal en quart de finale – et à l’US Open – finaliste face à Djokovic -, on ne peut que se dire que s’il est à cent pour cent physiquement, l’Argentin fera des dégâts dans le tableau final. Peut-être aussi d’ailleurs Cilic, du même âge que lui, excellent sur herbe, mais aucun de ses résultats cette année ne le laisse clairement présager.

GS, le 11 / 6 / 2019

Entre terre et ciel

Il devient difficile – sinon impossible – de mettre des mots sur les triomphes de Nadal à Roland-Garros. La manière dont aujourd’hui, en quatre sets (6 / 3, 5 / 7, 6 / 1, 6 / 1) et trois heures de jeu, le Majorquin s’est adjugé son douzième Grand Chelem parisien restera en tous cas dans les mémoires, compte tenu de l’intensité inouïe de sa présence sur le court, à l’exception de la fin du second set. Il faut dire que Rafa, pour gagner, n’avait pas d’autre choix que de produire un match en or, étant donné le niveau de son adversaire du jour, l’Autrichien Dominic Thiem, tombeur en demi-finale de Novak Djokovic, le numéro un mondial.

Tennistiquement, la différence s’est faite sur le plan de la constance, supérieure chez Nadal, et à travers l’aptitude de ce dernier à réaliser des coups sidérants au terme d’échanges surpuissants, aux frappes liftées, profondes, et ce des deux côtés. Elle s’est faite aussi dans la capacité de l’Espagnol à proposer davantage de variations dans le jeu que l’Autrichien, surtout dans les deux dernières manches qui ont souvent vu Rafa monter au filet, entre autres pour glisser des volées basses de coup droit parfaitement maîtrisées. Elle s’est faite enfin sur la qualité de son revers, aujourd’hui impeccable. Croisé ou décroisé, bombé ou tendu, ce coup a fait mouche fréquemment, sans presque de déchets.

A force d’abnégation, de rigueur et d’engagement physique, d’humilité sans faille, Rafael Nadal a donc décroché un dix-huitième titre du Grand Chelem, et rien n’indique que son compteur s’arrêtera là. L’émulation hors-norme qui existe depuis des années entre lui, Roger Federer et Novak Djokovic n’est pas terminée. Détenteur de vingt levées du Grand Chelem, le Suisse demeure pour lors le plus grand joueur de tous les temps. Mais Rafa se rapproche de lui plus que jamais, et Novak, plus jeune, avec ses quinze titres du Grand Chelem, en est à l’évidence moins loin qu’il n’y paraît. Prochaine étape de cette rivalité divine : Wimbledon, qui va très vite arriver et dont on a hâte.

GS, le 9 / 6 / 2019