Le feu d’artifice qui s’annonçait à l’issue de la première semaine de Wimbledon a bien eu lieu, et son bouquet final fut tiré aujourd’hui même par Novak Djokovic et Roger Federer, auteurs d’un match qui nous a emmenés très loin, du côté de cet au-delà tennistique où tout ravit et où rien n’est plus prévisible. Précisément, le Serbe est venu à bout de l’Helvète en cinq manches et presque cinq heures de jeu, 7 / 6 [5], 1 / 6, 7 / 6 [4], 4 / 6, 13 / 12 [3], pour remporter son cinquième Wimbledon et son seizième tournoi du Grand Chelem, ce qui le place à deux longueurs désormais de Rafael Nadal et à quatre seulement de Roger Federer quant au nombre de tournois majeurs gagnés par un seul et même joueur. De ce point de vue, et de celui de la qualité du jeu proposée pendant cette finale, Novak a conquis une victoire historique, si ce n’est légendaire, d’autant plus retentissante qu’il a dû sauver deux balles de match à 8 / 7 pour Roger dans l’ultime set, quand ce dernier menait 40 / 15 sur son service avant de le perdre à cause de quelques fautes vaguement provoquées. Ainsi, de façon cruelle, le rêve qu’a touché Federer – celui de devenir le plus vieux joueur de tous les temps à gagner un Grand Chelem, qui plus est en vainquant l’un de ses deux rivaux directs au regard de l’histoire du tennis -, la performance ultime qu’il a failli réaliser se sont en fin de compte volatilisés, laissant la place à un nouveau triomphe du Serbe, décidément miraculeux, miraculé.
Où s’est jouée cette rencontre homérique ? Comment Roger a-t-il pu perdre finalement après être passé si près du but ? Qu’eût-il pu faire qu’il n’a pas fait ou qu’eût-il pu mieux réaliser dans ce qu’il a tenté ? La réponse est simple : rien. Ou plutôt presque rien. Or c’est justement ce rien qui a fait toute la différence de façon tout ensemble subreptice et criante, infime et géante, et pour tout dire récurrente au cours du match.
Physiquement, contre toute attente, Roger a tenu jusqu’au bout de la rencontre, ne traversant guère plus de phases de manque d’énergie que Novak, essentiellement dans le cinquième set. Ainsi, à la différence d’autres matchs qui les ont opposés par le passé – je pense entre autres à la finale disputée ici-même en 2014, en cinq sets également -, ce n’est pas sur ce plan que l’issue s’est jouée. Techniquement, tactiquement, en un mot, tennistiquement, Roger a été immense, à la fois juste et percutant, ce dont le ratio entre ses fautes directes (62) et ses points gagnants (94) rend compte nettement, de même que le fait qu’il n’a pas été breaké durant le match avant la fin de la quatrième manche, avant presque trois heures de jeu. Excellent au service, très solide en revers, impérial en coup droit comme souvent et très propre au filet, le Suisse a livré en tous points une performance magistrale et variée où il est impossible de voir de réelles anicroches au niveau du jeu. Ce n’est donc pas sur ce plan non plus que l’écart final s’est fait, puisqu’il en faut un, non c’est à l’évidence ailleurs qu’il convient d’en trouver la cause. Et comme arrivé là il n’en reste qu’un, il n’est plus difficile d’identifier le plan où tout s’est joué, en l’occurrence à l’intérieur. Moralement, s’il a été grand, capable notamment de maintenir sa concentration tout au long de la rencontre, d’y revenir une fois, à 2 / 4 contre lui dans le dernier set, et de ne pas sombrer après avoir raté le coche des deux balles de match, Federer n’a pas été assez constant dans les tie-breaks ni par ailleurs assez saignant sur quelques points qui valaient tout et où il n’a pas réussi à prendre pour de bon son destin en main, quand en face de lui Djokovic ne lâchait rien, ne commettait aucune faute directe et l’acculait par là même à sortir des coups surhumains mentalement.
C’est ainsi qu’en définitive Roger a perdu, que Novak Djokovic l’a vaincu, une nouvelle fois plus dur au mal que lui mais de rien, d’un brin d’herbe, d’un cheveu, d’une sublime particule élémentaire qui a fait basculer l’Olympe du tennis, à tout le moins temporairement. Le Serbe put ainsi savourer le gazon du central juste après sa victoire en remerciant le ciel d’un geste assorti d’un regard : son ange venait de passer par là.
GS, le 14 / 7 / 2019